Morière Emile (1891-1942)
Emile-Raoul Morière, journaliste et imprimeur, a été de 1891 à 1942 le propriétaire et directeur du journal Le Lexovien. Engagé et investi pour Lisieux, il a également, été le fondateur de L’Annuaire Lexovien puis de La Revue Lexovienne illustrée devenue La Revue illustrée du Calvados. Reconnu et estimé par ses collègues, il a présidé de 1922 à 1935 l’Association des Journalistes Professionnels de Normandie et a pendant 6 ans siégé, à Paris, au Comité de la Presse Républicaine Départementale de France.
En complément de l’article de Gilles Hurel, « Un grand patron de presse lexovien Emile Morière », revue Le Pays d’Auge, numéro 5, septembre-octobre 2021, retrouvez ci-dessous la nécrologie d’Emile Morière parue à la une du journal Le Lexovien le mercredi 8 juillet 1942.
Mort de M. Emile MORIERE
Directeur-Propriétaire du « Lexovien »
Après une longue agonie dont nous suivions avec angoisse le développement inexorable, M. Emile Morière, le respecté et très aimé directeur de ce Journal, a été enlevé dimanche matin à la tendresse de sa digne épouse, à l’affection des siens, de ses collaborateurs, de ses amis.
Frappé, il y a sept ans, de la plus douloureuse des infirmités, il supporta ce cruel coup du destin avec courage et une noble résignation.
Cependant, depuis plusieurs mois, sa santé ne fut pas sans causer de vives inquiétudes à son entourage, mais sa robuste constitution permettait d’espérer qu’il pourrait résister longtemps encore aux défaillances de l’âge et à la maladie.
Dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, une congestion pulmonaire se déclara et son état empira brusquement ; tous les soins prodigués furent vains et il entra dans une sorte de coma auquel son excellent organisme opposa pendant quatre jours une opiniâtre résistance que la mort impitoyable devait finir par vaincre. Il s’éteignit doucement dimanche, vers quatre heures du matin.
Maîtrisant la profonde émotion qui s’est emparée de nous, puisant dans la vie du cher disparu, l’exemple du courage et de la fermeté nécessaire, nous allons tenter d’évoquer, pour nos lecteurs, la carrière de notre très regretté « patron ».
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Normand de bonne souche, M. Emile Morière était né le 21 août 1859 à Courcy, petite commune de l’arrondissement de Falaise.
Son père, maître d’école publique, ayant été envoyé à Pont-l’Evêque, il suivit ses parents dans leur nouvelle résidence et passa, dans la coquette cité du Pays d’Auge la plus grande partie de sa jeunesse.
Après de solides études, il prépara ses examens pour devenir agent-voyer et entra dans l’Administration des Ponts et Chaussées ; il fut nommé d’abord surnuméraire à Bayeux, puis agent-voyer à Lisieux où il exerça ses fonctions pendant une dizaine d’années.
En 1891, Le Lexovien s’étant trouvé à vendre, il conclut une association avec M. Choppe et s’en rendit acquéreur.
Doué de fines qualités d’observation, d’une heureuse mémoire et d’une grande activité, M. Morière donna au journal une forte impulsion et étendit son rayon d’action. En mars 1896, il en restait seul propriétaire.
Il fit face alors sans faiblesse aux multiples difficultés d’une tâche absorbante. Aimant passionnément son métier, pourvu d’une grande sûreté de jugement et d’une étonnante souplesse d’esprit, il parvint, après des années d’efforts, à donner au Lexovien une place prépondérante dans toute la région.
Dans le même temps, il apportait à son imprimerie d’heureuses transformations ; toujours à l’affût des techniques nouvelles, il dotait ses ateliers de machines modernes et y effectuait des aménagements destinés à obtenir une meilleure exécution des travaux et à donner aux ouvriers de plus grandes facilités dans l’accomplissement de leur tâche.
Comme publiciste, il édita de nombreux ouvrages dont la présentation et le fini témoignent du soin qu’il apportait à toutes choses. Il fonda, en 1907, la Revue Lexovienne Illustrée du Calvados, publication mensuelle très artistique qui devait laisser une documentation précieuse sur la vie du département, avant la guerre. Il eut cette initiative heureuse de créer en 1889 L’Annuaire du Lexovien, modifié et perfectionné chaque année et qui rendit tant de services à la population de la cité et des environs. Des presses du Lexovien et d’après ses heureuses directives, sont également sorties des reproductions de dessins d’artistes réputés, des œuvres littéraires et des brochures d’un goût parfait.
Aussi bien, tant comme journaliste que comme publiciste, M. Emile Morière fit toujours preuve d’un désir constant de s’instruire, d’une curiosité intellectuelle très aigüe, en même temps que d’une haute conscience de sa mission.
Ses articles, écrits en style clair et précis, étaient marqués au coin de ce bon sens normand légendaire dont il possédait une forte empreinte.
Dans les ardentes polémiques auxquelles le contraignit la politique, il montra toujours une grande modération et une prudente sagesse, s’efforçant de ne pas blesser l’adversaire qu’il combattait.
Ses grandes qualités devaient lui attirer l’estime et l’affectueuse confiance de ses collègues. En 1922, il était nommé Président de l’Association des Journalistes Professionnels de Normandie à laquelle il appartenait depuis 1907 ; il donna à cette Association une vigoureuse impulsion et, par une loterie des mieux organisées, augmenta dans de fortes proportions les fonds destinés à alimenter la Caisse de retraites. Il fut, en 1935, en raison de la réduction de son activité, nommé Président d’honneur de ce groupement.
Sa solide réputation d’organisateur se répandit au-delà de sa province ; aussi ses collègues le chargèrent-ils de les représenter, à Paris, au sein du Comité de la Presse Républicaine Départementale de France, de 1924 à 1935.
Quand fut décidée la création de l’Association de la Presse du Calvados, c’est encore lui que ses collègues choisirent comme Président d’honneur.
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Mais l’activité de M. Morière ne se borna pas à son imprimerie, ni à sa profession de journaliste ; elle devait s’étendre bien au-delà et dans des domaines les plus divers.
Il fut un des fondateurs du Cercle de Lisieux dont il remplit les fonctions de trésorier avec le plus complet désintéressement. Il y organisa dans les plus petits détails des soirées fort attrayantes – auxquelles participaient des artistes renommés – et dont le succès est resté présent à la mémoire de tous.
Excellent musicien, il dirigea pendant trois années l’Harmonie Municipale et devint ensuite le président d’honneur de la Société à laquelle il n’a cessé de s’intéresser.
Après la guerre, il donna un bel essor au Syndicat d’Initiative dont il présida les destinées jusqu’en 1934. Il contribua par son action diligente, par l’édition d’un guide détaillé fort précieux à faire connaître notre cité, ses curiosités, ses monuments et à y attirer de nombreux visiteurs.
S’il avait voué à sa ville d’adoption un culte profond, sa province natale ne l’intéressait pas moins et eut, en lui, un défenseur ardent. Il fit partie, à son début, du groupement régionaliste Les Normands à Paris, et occupa, à diverses reprises, une place dans le Comité de cette Association dont il fut un des plus actifs propagandistes. La Société des Courses de Lisieux le compta également au nombre de ses membres, il y remplit longtemps les fonctions de trésorier.
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Sa haute situation, acquise par la seule force de son travail, ne l’empêcha pas de toujours s’intéresser aux humbles, aux déshérités, à ceux que l’adversité accablait. Pour ces ouvriers qu’il affectionnait et sur le sort desquels il ne cessa jamais de se pencher, il fonda la Caisse de Secours Mutuels pour les aider dans les moments difficiles de l’existence.
Au cours de la guerre 1914-18, comme secrétaire de la Croix-Rouge française il participa à l’organisation des hôpitaux complémentaires et les blessés étaient l’objet de sa bienveillante sollicitude.
Mais il fit plus encore ; il créa l’Oeuvre des Prisonniers de guerre où son grand cœur et son beau dévouement devaient donner toute la mesure. Il rendit d’inappréciables services à de malheureux soldats, sans nouvelles des leurs et qui, grâce à lui, recevaient régulièrement un colis bien garni.
Le dévouement, le désintéressement dont il fit preuve pendant ces quatre années attirèrent à lui l’attention des Pouvoirs Publics et lui valurent l’attribution de la Médaille de la Reconnaissance Française, distinction rarement accordée dont il estimait tout le prix. Enfin, en août 1925, le Gouvernement récompensait ses mérites exceptionnels en le faisant chevalier de la Légion d’Honneur ; et nous nous rappelons, non sans une indicible émotion, l’unanime et chaleureuse sympathie dont il fut l’objet à cette glorieuse étape de sa vie.
Ainsi, son caractère loyal et franc, sa bonté sans égale, sa générosité constante faisaient-ils de M. Morière un ami sûr et désintéressé sur lequel on pouvait compter ; sa conversation attrayante et spirituelle n’était pas un des moindres charmes de cet homme de bien avec lequel chacun se plaisait à s’entretenir.
Sa vie toute de travail et d’une parfaite honorabilité restera un haut exemple pour ceux qui auront la lourde tâche de lui succéder.
Les sympathies nombreuses qui nous parviennent de tous côtés en ces jours de tristesse apporteront une atténuation au cruel chagrin de Madame Morière, sa compagne attentive des bons et mauvais jours, qui depuis cinquante-neuf ans partagea tous ses soucis comme toutes les joies.
A nous, ses collaborateurs, employés et ouvriers de cette maison, elles nous font plus vivement sentir encore la perte immense que nous subissons aujourd’hui et qui nous plonge dans la plus amère désolation.
EMILE TREMBLOY
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- Dernière mise à jour : 30/09/2021